Déclaration liminaire de la conférence de presse du 26 septembre, 2019 sur l’analyse de la situation sanitaire des zones d’attaques terroristes au Burkina Faso

Mesdames et messieurs de la presse, chères organisations partenaires,

 bienvenu au RAME et merci d’avoir répondu à cette invitation.

Il sied de reconnaitre en votre présence cet après-midi, votre engagement à éclairer les consciences à travers des informations justes et de sources crédibles et diversifiées ainsi que votre rôle de courroie ou d’intermédiaire entre les populations et les gouvernants.

 

Mesdames et messieurs, chers femmes et hommes de médias,

Depuis 2015, notre pays, le Burkina Faso, transverse une crise sécuritaire sans précédent, caractérisée par des attaques terroristes tout azimuts à travers plusieurs localités du pays. Ces attaques ont occasionné des pertes en vies humaines, des blessés et des déplacés internes dans toutes les composantes de la société burkinabé.

Une minute de silence, pour la mémoire de l’ensemble des personnes disparues.

 

Mesdames et messieurs, chers journalistes,

Cette situation touche toutes les couches de la vie socio-économique de notre pays et commence à anéantir les efforts de développements entrepris par l’Etat et les partenaires au développement.

Plus particulièrement, cette crise sécuritaire touche les secteurs sociaux de bases tels que l’éducation et la santé. Ces deux secteurs sont les piliers du développement et ne peuvent exister que dans un environnement de sécurité et de paix, comme pour reprendre une citation de Kofi Annan (Ex Secrétaire Général des Nation Unies) : «  il n’y a pas de développement sans sécurité, il n’y a pas de sécurité sans développement, et il ne peut y avoir ni sécurité, ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés.[1]». L’éducation et la santé sont des droits fondamentaux de l’homme qui doivent être assurés quel que soit la situation.

En outre, les attaques terroristes dans les régions du Sahel, du Nord, du Cendre-Nord, de l’Est et du Cendre-Est ont engendré des déplacements massifs des populations occasionnant un besoin important en services sociaux de base dans les zones d’accueil.

Dans le domaine de la santé, cette situation a contribué à dégrader davantage les conditions d’accès aux soins de qualité des populations des zones affectées, rendant ainsi leur situation de santé plus précaire.

 

Mesdames et messieurs les journalistes,

C’est au regard de cette situation qui s’aggrave de jour en jour que nous, Réseau Accès aux Médicaments Essentiels (RAME) dans notre mission de veille et d’interpellation, avons entrepris de faire une analyse de la situation sanitaire afin de mieux informer le public et interpeller les autorités pour une amélioration des conditions d’accès des populations des zones affectées à des services de santé de qualité.

Notre analyse s’inscrit particulièrement dans un contexte où les informations sont mieux données dans certains secteurs sociaux comme l’éducation et tendant à faire croire que le secteur de la santé est moins touché alors que les populations concernées en souffrent réellement.

Cette analyse est également un appel à tous les partenaires techniques et financiers du Burkina Faso pour qu’ils renforcent leurs appuis au système de santé dans ce contexte de crise généralisé.

Mesdames et messieurs les journalistes,

Notre démarche d’analyse a consisté d’abord en une collecte active d’informations, réalisée par les points focaux de l’Observatoire Citoyen sur l’Accès aux Services de Santé (OCASS) du RAME dans les districts sanitaires concernés, à des rencontres d’échanges avec les acteurs et les autorités publiques en lien avec la question, et ensuite à collecter des informations secondaires auprès des organisations humanitaires et des agences du système des nations unies intervenant dans les zones touchées. .

En outre, le RAME a conduit une mission d’information et d’investigation sur le terrain dans le Centre Nord pour apprécier la réalité sanitaire de nos compatriotes qui y vivent.

Ainsi, de cette collecte, il ressort une situation humanitaire pitoyable qui s’aggrave de jours en jours, marqué par un nombre de plus en plus croissant de déplacés internes, de réfugiés et avec à côté des établissements scolaires et sanitaires qui se ferment. A la date du 21 Août 2019, la situation humanitaire faite par le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) établissait à :

  • 271 000 le nombre de personnes déplacés internes et 31 000 le nombre de réfugiés, dont 41% sont des femmes et 44% des enfants de moins de 18 ans ;
  • 687 000 le nombre de personnes menacées d’insécurité d’alimentaire,
  • 60 le nombre de centres de santé fermés contre 39 en fin juillet (selon le CORUS) soit une augmentation de 35% ;
  • 65 le nombre de centres de santé à fonctionnement réduit en Août contre 57 en juillet ;
  • 626 000 le nombre de personnes privées d’accès à des soins de santé de qualité,

Cette situation s’est aggravée avec les confiscations ou la destruction des équipements de santé. En juillet 2019 (Collecte terrain) il y’avait : 6 ambulances, 04 tricycles, 03 motos et des médicaments qui ont été confisqués au district de Gorom-Gorom, 05 équipements et matériels (ambulances, tricycle et muni-car de MSF) confisqués à Djibo. Nous n’oublions pas la récente attaque ayant privé ces personnes de vivres à travers la destruction du camion transportant des vivres vers ces sites.

 

Mesdames et messieurs les journalistes,

Cette situation a entrainé un regain de solidarité nationale et internationale avec des organisations qui font des interventions sur le terrain, en dépit du contexte sécuritaire pour soulager les populations.

Toutefois, au regard de ces données et des actions entreprises sur le terrain, nos analyses sur les constats établis renforcent la compréhension à avoir sur la situation sanitaire actuelle :

  • Une augmentation importante des centres de santé fermés depuis mai 2019, passant de 37 à 60 (OCHA),
  • Des menaces contre les agents de santé et des usagers. Au moins 23 centres de santé (collecte terrain RAME) ont reçu diverses formes de menaces de la part des assaillants,
  • Une situation sanitaire très préoccupante aussi bien dans les zones de départ que d’arrivée des déplacés. Dans les zones de départ, en plus des fermetures des centres de santé, on note les difficultés d’approvisionnement en médicaments des centres existants à cause de la confiscation du matériel roulant et la quasi impossibilité d’évacuer des malades des centres périphériques vers les CMA. Les populations dans un état de pauvreté accrue est obligé de trouver ses moyens locaux pour assurer les évacuations des malades, même celle des femmes en état d’accouchement. Dans les zones d’accueils, les formations sanitaires font face, sans préparation, à une pression importante due à l’augmentation des usagers. Ce qui entraine des ruptures des médicaments conjugué aux limites des plateaux techniques non adaptés.
  • Une aggravation de la situation de prise en charge des maladies chroniques comme le VIH, la tuberculose, les hépatites, … Les patients de ces pathologies qui devraient prendre leurs produits chaque jour se retrouvent du jour au lendemain sans médicaments et pour un temps non maitrisé.

 

Mesdames et messieurs, chers femmes et hommes de médias,

La situation sanitaire des zones d’attaques est véritablement alarmante et il sera prétentieux de pouvoir décrire toutes les difficultés et souffrances que vivent les populations sur le plan sanitaire dans ces zones. Vous imaginerez certainement la conjugaison de cette situation d’insécurité avec les mouvements d’humeur des agents de santé durant ces derniers mois. « Elever un enfant en temps rupture de soins est une épreuve pour une mère. Il est difficile de défendre la santé de son enfant dans un environnement où personne ne se préoccupe de ton mal », a confié une patiente.

 

Mesdames et messieurs

Face à cette situation, quelles réponses sanitaires existent actuellement sur le terrain ?

A cette question, il faut féliciter les ONG humanitaires comme la Croix-Rouge, OXFAM, Médecin Sans frontière (MSF) MDM, Humanité Inclusion (HI) et bien autres ainsi que les agences du système des Nations Unies (OCHA, HCR, PAM, UNICEF, ONUSIDA,…) pour la promptitude de leur réaction face à la crise dans la zone. Il faut également féliciter et encourager les organisations communautaires locales et les populations elles-mêmes qui ont su initier très rapidement des réponses pour soulager la souffrance des populations dans les premiers moments. A titre d’exemple, certaines formations sanitaires de Gorom-Gorom et de Arbinda sont ouvertes grâce aux volontaires communautaires et aux Agents de Santé à Base Communautaires. On pourra se demander avec quelle qualité cette prise en charge est faite?

Au Niveau de l’Etat, la crise humanitaire est gérée par le CONASUR en collaboration avec les structures déconcentrées et décentralisées dans les zones.

Toutefois, notre analyse de la réponse sanitaire dans ce contexte de crise, nous révèle plusieurs insuffisances parmi lesquelles on peut citer :

  • Le retard de la prise en compte de la spécificité de cette situation de la zone pour une réponse sanitaire appropriée. En effet, la crise a bien démarré en 2016, mais il a fallu près de 04 ans pour que le ministère de la santé élabore un projet de réponse sanitaire pour la zone d’insécurité. Cela confirme bien la fragilité et le manque de prospective de notre système de santé. Ledit projet dont il est question est toujours malheureusement dans un état provisoire et n’a pas été validé.
  • Le manque de coordination réelle des intervenants sur le terrain surtout en matière de santé. Cela se caractérise par le fait que certains déplacés qui sont dans les camps formels bénéficient d’un dispositif cohérent de prise en charge alors que les déplacés qui sont dans les écoles et autres lieux ne bénéficient de rien.
  • Le manque d’adaptation des centres de santé des zones d’accueil pour répondre à l’affluence des déplacés et aux besoins spécifiques des patients.
  • Le manque de mesures fortes pour soulager sur le plan sanitaire les populations des zones d’attaques et les déplacés en réduisant les coûts d’accès aux soins.

 

 

Chers hommes et femmes de médias,

Ces insuffisances constatées dans la réponse sont des facteurs qui vont entrainer plusieurs risques dans le domaine sanitaire parmi lesquels:

  • Le recul des acquis en matière de santé de la population comme la fréquentation des formations sanitaire, le recours aux accouchements assistés, …),
  • Le rebondissement possible de certaines pandémies qui étaient en voie d’être maîtrisées (TB, VIH, hépatites …) facilité par l’absence ou l’insuffisance de suivis des patients chroniques ;
  • Les risques possibles d’épidémies (Choléra, paludisme, Méningite…) et avec des aggravations jamais connues si la situation se maintient telle,
  • Le risque d’apparition de nouvelles pathologies au regard du manque d’information sanitaire dans la zone,
  • La mort des associations des zones concernées avec le retrait des financements des partenaires et le manque d’appui de l’Etat.
  • L’insuffisance de suivi et d’encadrement de proximité des interventions dans les zones concernées pour une qualité des prestations des services de santé,
  • L’augmentation du sentiment de délaissement par l’état qui s’accentue avec la fermeture des centres de santé.

 

Mesdames et messieurs, chers femmes et hommes de médias,

C’est fort de ce constat très inquiétant et devant l’aggravation de la situation que le Réseau Accès aux Médicaments Essentiels (RAME) voudrait par la présente à travers vos médias interpeller :

 

  • Les autorités publiques à plus d’engagement pour garantir des soins de santé de qualité aux populations résidentes et déplacées des zones d’attaques. Il s’agit d’un devoir régalien de l’Etat et un droit pour les populations.
  • Les acteurs communautaires, les hommes de médias et les ONG humanitaires à ne pas laisser les populations des zones concernées dans ce contexte où elles ont le plus besoins d’assistance pour renforcer leur résilience face à la situation.
  • Les partenaires techniques et financiers à soutenir les actions des organisations locales pour plus de résilience face à la situation préoccupante.

Du reste, engagé dans la réalisation des ODD, un principe fort nous interpelle tous celui de « NE LAISSER PERSONNE POUR COMPTE ».

 

Mesdames et messieurs, chers femmes et hommes de médias,

Le RAME dans sa dynamique de proposition, formule les recommandations suivantes à l’endroit des autorités publiques pour faire face à la crise.

  1. La mise en place et l’opérationnalisation dans un bref délai d’une stratégie de réponse sanitaire intégrant les actions de tous les acteurs dans les zones concernées,
  2. Le Renforcement des mécanismes communautaires de prise en charge des patients pour la continuité des soins, surtout ceux à l’endroit des malades chroniques (PVVIH, TB). Il s’agit de redynamiser les ASBC, les volontaires et centres communautaires, …)
  3. Le renforcement de l’action des organisations de la société civile sur les sites d’accueil par des financements adéquats pour la prévention des risques d’épidémies et la prise en charge des cas de malades chroniques.
  4. La prise d’une décision de gratuité totale des soins pour les populations locales qui vivent dans les zones concernées et celles déplacées.

 

Que la paix revienne au Burkina Faso.

Je vous remercie

 Réseau Accès aux Médicaments Essentiels 

[1] « Pour une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous », rapport du secrétaire général, document Nations unies A/59/2005, page 6

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